© Catherine Peillon
Découvrez la sélection musicale du comité éditorial :
> La sélection de Kasper T. Toeplitz (?) |
Zbigniew Karkowski – Unreleased Materials / paru en 2014 chez Fibrr records
// En savoir plus !
Oui, il y a sans doute une certaine inconvenance à parler d’enregistrements auxquels on a soi-même participé, mais ici la donne est un peu différente, puisqu’il ne s’agit pas tant de chroniquer les nouveaux projets, les nouvelles compositions, d’un artiste, mais de rendre hommage à celui qui est disparu récemment – en décembre 2013 – qui a énormément compté pour beaucoup de musiciens, essentiellement pour ceux qui essayent d’inventer des nouvelles formes musicales, mais surtout qui essayent de poser un regard différent sur ce que faire de la musique – et quelle musique ? – veut dire, aujourd’hui, ceux qui tentent de poser un regard différent sur le monde. Ce monde Zbigniew Karkowski l’a parcouru de long en large, jouant partout, que ce soit dans des salles officielles ou des squats déglingués, voire dans la rue, au Pérou, ou plus largement en Amérique du Sud, en Europe, au Japon (où il vivait depuis prés de vingt ans) ou en Chine, et son changement de regard sur la musique l’a conduit depuis la musique contemporaine et notamment « sonoriste » (il est né et a commencé l’étude de la musique en Pologne) jusqu’aux franges les plus extrêmes de la « noise musique », jusqu’à la physicalité du son.
Et c’est donc un CD d’hommage à ce musicien que APO33, le collectif artistique basé à Nantes, a décidé de sortir, demandant à certains des amis et collaborateurs de Karkowski d’y participer ; et une des beautés de l’objet est qu’à une exception près tous ont décidé d’inclure des pièces faites avec l’ami disparu, ce qui en fait effectivement un disque de Zbigniew Karkowski. On a ainsi diverses collaborations électroniques (avec Julien Ottavi, avec Lars Akerlund) mais également une pièce avec percussions – écrite pour Daniel Buess. Mais aussi, retour à soi-même, le dernier concert enregistré (mais n’était-ce pas simplement le dernier ?) du « Dépeupleur », le duo électronique que j’ai pu faire pendant quelques quinze années avec Zbigniew.
Un CD qui n’est certainement pas une « somme » – le champ musical traversé par Karkowski était autrement plus large – mais qui reste une pièce essentielle pour essayer de comprendre l’impact phénoménal que l’homme imprima au monde de la musique.
Candied Limbs – Subproject 54 / paru en 2000 chez Tura New Music
// En savoir plus !
La musique contemporaine s’occupe peu (ou s’est peu occupée) de la basse électrique, instrument pourtant riche en possibilités sonores. Il y a bien eu un intérêt pour la guitare électrique (souvent un peu décevant à vrai dire, car souvent en fascination envers le rock des années 1970, au lieu de chercher des choses plus originales, et le résultat fait pièce rapportée), mais la basse électrique, peu. Et un des mérites de Cat Hope – musicienne et compositrice australienne – est d’explorer cet instrument à côté de son investissement dans l’ensemble « Decibel », à côté de son intérêt pour les notations graphiques, ou justement pas à côté mais en dedans, tout en même temps, de front et sur un pied d’égalité. « Candied Limbs » est un projet de duo avec Lindsay Vickery – qui, lui, joue de la clarinette basse mais programme également en MaxMSP et ces programmations comprennent également des projets de partitions variables, donc manipulations de formes musicales et non pas seulement de textures sonores – et les deux proposent une musique profonde, abyssale presque. Disque long et la longueur fait partie de l’expérience : ce qui au début ne semble être « que » manipulations électroniques (une des particularités de la basse, instrument sans voix « acoustique » est son pouvoir d’être un caméléon sonore, de se fondre dans les strates électroniques) au dessus desquelles la clarinette joue, des sons fendus, cassés, riches d’harmoniques. Mais peu à peu le tout s’organise en un discours autrement plus novateur, auquel le temps, justement, apporte le sens. Une exploration véritable de la matière sonore, des textures et couleurs, loin des codes, loin des écoles. Et c’est peut-être l’éloignement de l’Australie qui le permet, mais on en vient inévitablement à se demander pourquoi de tels comportements sont si rares, par ici, pourquoi les étiquettes sont si bien fixées, pourquoi les chemins de travers ne sont pas plus souvent empruntés : à entendre la musique de Candied Limbs, il y aurait tout à y gagner.
> La sélection de Nicolas Debade (?) |
Skull Defekts – Dances in Dreams of the Known Unknown / paru en 2014 chez Thrill Jockey
// En savoir plus !
Deuxième album mettant en avant la collaboration du groupe expérimental suédois mené par Joachim Nordwall et Daniel Fagerstroem avec Daniel Higgs, ancien chanteur du groupe Lungfish, ce disque continue de revisiter un rock noise entrevu déjà lors du précédent Peer Amid. Ici, on est dans un environnement plus direct, plus frontal, avec des formats et une production résolument rock. Les riffs se veulent vénéneux, les rythmiques hypnotiques et les guitares oscillent entre larsens lancinants et dissonances généreuses. Les mélodies vocales et paroles de Higgs y apportent une certaine poésie quelque peu hallucinogène.
Divers Artistes (sélection par Stephen Wade) – A Treasury of Library Of Congress Field Recordings / paru en 1997 chez Rounder
// En savoir plus !
Cette compilation d’enregistrements de terrain (ou field recordings) réalisés par la fameuse Bibliothèque du Congrès américain est un témoignage de la musique américaine à travers des documents collectés à partir des années 1920. Vrai hommage à la culture folk, on y entend tour à tour des chants a capella, des blues accompagnés à la guitare (notamment par Woody Guthrie), des morceaux plus proches de la country, des gospels… Le travail réalisé par ces pionniers (entre autres Alan et John A. Lomax) avec un matériel relativement mobile pour l’époque, est d’une rare qualité, certains craquements nous rappelle certes que nous nous situons à environ 80 années d’aujourd’hui (enregistrements réalisés entre 1934 et 1946 !). Mais la patine donne à ce disque un « cachet » savoureux, et les ambiances d’écoles, fermes et prisons en restent justement authentiques.
> La sélection de Catherine Peillon (?) |
Francois Sarhan – PopUp – par Ictus / paru en 2014 chez Sismal Records
// En savoir plus !
«Les extraits des deux œuvres réunies sur ce disque, l’Nfer et Orloff ont en commun de partir d’un témoignage, d’un document non musical, sur lequel la musique va projeter ses couleurs et imprimer un sens nouveau(…) Je pense que dans la matière brute, sa médiocrité apparente, gît un trésor d’émotion, d’énergie, de mystère et de potentiel ». … « En parallèle de ma voix documentaire, il me fallait une matière musicale la plus repérée possible, pour que le contraste improvisé/prévu soit aussi clair que possible. Mais c’est autant un écrin qu’un cercueil, car cette notation et reproduction en fait disparaître la fraîcheur et la fragilité. … Construire un drame avec cette matière confuse et riche possède l’exaltation de «trouver le mystère dans la lumière» (citant Cravan).
En boucle, la matière textuelle est un récit improvisé, en partie autobiographique, plutôt anodin et banal. Mais sa mise en perspective, sa transformation, très légère, et sa mise en scène sonore, avec des sons de la modernité musicale populaire mondiale (rock, pop…) en ferait une œuvre, ferait sens nouveau. En boucle, ces éléments narcissiques, excentriques à force d’être prosaïques, qu’inventent-ils ? « Matière prémâchée, langage cuit », pour délivrer une émotion qui reste à localiser, comme Blanchot le fait du charme des Sirènes, « leurs chants imparfaits… chant(s) encore à venir… Mais, le lieu une fois atteint, qu’arrivait-il ? Qu’était ce lieu? Celui où il n’y avait plus qu’à disparaître, parce que la musique, dans cette région de source et d’origine, avait elle-même disparu plus complètement qu’en aucun autre endroit du monde ». Le compositeur, rompu à tous les genres musicaux et du spectacle vivant et de la vidéo, collaborateur de William Kentridge, entre autres, n’en est pas à son premier tour de force. Son «Introduction à l’histoire de la musique», (Flammarion 2004), ainsi que son «Encyclopédie», cabinet de curiosités – livres, collages, films, spectacles – inventées, en font un personnage profond et facétieux, érudit et joueur, enfant terrible de la musique d’aujourd’hui. Atypique et précieux.
Toshio Hosokawa – Orchestral Works, Vol. 1 – par Stefan Dohr / paru en 2014 chez Naxos
// En savoir plus !
Toshio Hosokawa est né en 1955 à Hiroshima, près d’une décennie après la catastrophe. Pourtant ce qui imprègne sa musique ne relève d’aucune violence, sauf violente, son intime poésie. A l’exception de quelques œuvres parmi lesquelles » Sans-voix voix à Hiroshima » (Nous pouvons faire de la musique contre cette horreur, nous ne devons pas oublier l’horreur et le chaos), sa musique est méditative, influencée par la tradition japonaise. Méditative donc mais non retirée du monde (Je veux voir cette réalité). Le son est comme la fleur, qui éclos, s’épanouit, flétrit puis se fane avant de se renaître l’année suivante. Sa fragilité, son éphémère la rendent précieuse et, par le cycle des saisons, elle rejoint l’éternel éphémère et sa répétition.
Il en va ainsi de la musique qui est un va et vient entre le son et le silence, un silence habité et bruyant…
Toshio Hosokawa utilise la métaphore, l’abstraction, l’espace intime de la poésie. La nature et son expérience sont les moteurs de son imagination musicale et de son inspiration.
« (…) la tige passe directement à travers l’eau, reçoit la lumière du soleil… Sans le monde chaotique de la boue, la fleur ne pourrait pas s’ouvrir vers le ciel ». Image de l’éclosion, de l’épanouissement spirituel de l’être humain à partir de son monde intérieur, la floraison du lotus explicite la puissance de la nature et son rapport au cosmos.
L’art de la dissolution ultime de l’homme dans la nature et l’extase de devenir un avec elle par l’éveil de l’esprit (satori) et la béatitude.
Dans son concerto pour cor, tout est inspiré, de façon très imagée, de l’éclosion florale à la surface de l’eau, de la tempête, du remous, « l’épanouissement violent », puis le grand silence de l’étang. Dans son concerto pour piano, les images évoquent la nuit, la pleine lune, le sommeil, le rêve. La musique de l’ancien étudiant à Darmstad, influencé par Lachenman, Nono et la musique traditionnelle japonaise, coule, fluide ou mouvementée, comme si elle suivait, autonome, ses propres penchants, ses propres lois. Justes.
Présent Continu
c/o Futurs Composés, réseau national de la création musicale
9 rue Edouard Vaillant - 93100 - Montreuil
33(0)1 77 32 23 19 / 33(0)6 37 57 19 59
hello(@)presentcontinu.com