©schéma buttes-témoins/Jean-Luc Guionnet
Jean-Luc Guionnet publie cet article en réponse à notre appel à contributions » ENTRE COMPOSITION ET INTERPRÉTATION » qui interroge la démarche créative vis-à-vis de la question de l’interprétation.
Buttes-témoins (2007)
I — Composer/Improviser
à Derek Bailey
Les techniques inventées en studio (c’est-à-dire hors scène) au cours de l’histoire de la musique électroacoustique sont passées et passent encore progressivement à la pratique de l’improvisation (c’est-à-dire à la scène) : bidules, objets, bricolages électroniques, corps sonores, techniques de bruitage, gestes…, approches très ouvertes de l’instrument (instrument comme bidule et/ou techniques étendues).
Indépendamment de toute réalité historique, tout se passe comme si, non seulement les techniques, mais encore la posture d’écoute des pionniers de la musique sur bande avaient migré du studio à la scène. Une écoute de l’objet sonore pour lui-même suppose une forme de mise entre parenthèses de l’attention. L’épochê de Husserl est adaptée efficacement, et pragmatiquement, au cadre musical par Pierre Schaeffer, même si l’on peut se demander si ce n’est pas un peu naïvement, ne serait-ce que parce que cette naïveté est elle-même impliquée dans le questionnement… La question de cette naïveté se poserait comme suit : peut-on rejoindre l’épochê, avoir cette écoute du pur phénomène, sans « y croire » ? Ou alors, serait-ce justement le propos : « d’y croire » — croire en la possibilité d’une pure écoute et faire ce qu’il faut pour la rendre possible, c’est-à-dire rendre possible cette naïveté. « En fait, je suis resté naïf. (…) Comment échapper à cette naïveté ? En revenant à la perception, non pour la nier, non pour la critiquer, mais pour en prendre conscience, ce qui suppose qu’on cesse d’être immédiatement intéressé par ses résultats : les renseignements qu’elle nous livre concernant l’objet perçu. (…) Epochê, mise entre parenthèses, étonnement, comment décrire cette transformation du regard ? »
À cette naïveté-là, celle de la perception pour elle-même (le « ce n’est qu’un œil », que selon Vollard Cézanne aurait dit de Monet — ou « le bête comme un peintre », qui circule de Duchamp à Richter), répond une autre naïveté (la même ?) : celle de l’improvisateur dans son rapport à l’instant, à l’intuition, au lieu, à la mémoire… (bête comme un improvisateur ?). Il y aurait « migration de l’écoute » entre parenthèses (épochê) du studio à la scène… faire de la musique comme d’autres enregistrent des matériaux pour composer avec ensuite… C’est que l’écoute phénoménologique est un virus qui traverse toute la musique, et ce, bien avant d’être nommée comme telle et plus encore une fois nommée (la phénoménologie)… Non pas une application des théories phénoménologiques à la pratique musicale, mais une convergence historique depuis longtemps repérée dans les arts plastiques (les abstractions — depuis la gestalt theorie, Kandinsky, Maurice Merleau-Ponty, Michel Henry, mais aussi Tony Smith, Donald Judd, ou encore Richard Serra et même Gerhard Richter).
Mais il faudrait voir dans quelle mesure un musicien (un artiste) n’est pas au moins phénoménologue pour être tel… et ce sans forcément le savoir, quitte, dans le même temps, à travailler contre… (Marisa Merz, Gregor Schneider ou même Joseph Beuys).
Reste le fantasme d’une recherche se faisant musique, d’une expérience dont la forme pourrait aussi s’appeler musique : « (…) Il ne s’agit nullement d’un retour à la nature. Rien ne nous est plus naturel que d’obéir à un conditionnement. Il s’agit d’un effort anti-naturel pour apercevoir ce qui, précédemment, déterminait la conscience à son insu. (…) Pouvons-nous, nous délivrant du banal, “chassant le naturel” aussi bien que le culturel, trouver un autre niveau, un authentique objet sonore, fruit de l’épochê, qui serait si possible accessible à tout homme écoutant ? (…) » Mais allons plutôt à la source (Husserl) : « s’abstenir de tout jugement sur l’être et le non-être des objets, ce qui rend possible l’observation sans préjugés de la conscience pure ». Voilà l’écoute dont on parle, « l’ épochê » ou « la mise entre parenthèses » de l’intention, « la réduction phénoménologique ».
D’où l’accointance, purement pragmatique (constatée), de ces parenthèses avec l’improvisation : l’improvisation ? un problème d’intention — ou : que faire de son intention quand, concrètement, on ne sait ni ce qui se passe, ni ce qu’on va faire ? Ou mieux : quand aucun auteur, aucune autorité sinon la sienne propre, n’est là pour ordonner… On peut, alors, se rabattre sur la première chose qui s’impose quand on fait de la musique : le son, le phénomène sonore, sa logique, sa structure, son fonctionnement, l’acoustique. Quand l’idiome vient à manquer, on peut aller au matériau — où pouvoir est à entendre à la fois comme possibilité et comme autorisation : on peut, c’est-à-dire « on a la possibilité de » et « alors seulement on peut » (il faut vraiment manquer d’idiome pour pouvoir se rabattre sur le son).
Oui mais : « la première chose qui s’impose » quand on fait de la musique (le son) reste-elle cette même chose quand on improvise ? Allons droit au but : pense-t-on pareillement, avec le même matériau, quand on fait de la musique en improvisant ou quand on improvise en faisant de la musique, quand la musique est le but de l’improvisation ou quand l’improvisation est le but de la musique ? « Non », probablement… Et si l’on cherche le degré zéro de cette activité (l’improvisation musicale), on risque fort de tomber sur les analogies de rapports suivants : improvisation/musique = action/création (artistique) = humain/sonore… (et même = anthropologie/esthétique ?…). Autrement dit, une analyse purement musicologique de l’improvisation musicale manquera toujours sa cible tant qu’une dose d’anthropologie n’y sera pas injectée en quelques points stratégiques. Au niveau zéro (humain/sonore), le matériau de l’improvisation musicale est d’emblée tellement complexe que la notion de matériau est probablement un concept (un outil) inutile quant à l’analyse de cette forme d’art, mais aussi quant à sa pratique. Un art sans matériau ? Non : une danse ?
Mais revenons au son, et voyons :
Un compositeur commente une improvisation :
— « Où est la forme ? »
Réponse possible :
— « Oui, effectivement… la dilution des formes dans une diarrhée ventrue, faite d’une suite de crescendi et de decrescendi, est un travers certain de l’improvisation collective — « la pompe à merde », dit-on que disait Varèse de l’improvisation. Forme en accordéon, propagation, mouvement de foule, contagion… faut-il y voir la pente irrémédiable du collectif ? »
En manière de réponse, posons deux problèmes de représentation :
1 – Représentation historico-médiatique : il s’agirait d’aller voir/écouter de plus près ce qui se passe quand l’improvisation est le fait d’improvisateurs et non de musiciens s’adonnant à l’improvisation comme à un exercice (de style ?). L’institution (le politique, la presse et le sens commun) aime l’écriture et aime la mode : ce qui n’est ni écrit, ni à la mode, elle ne le représente pas… Si elle le faisait, on verrait que précisément, et peut-être plus encore qu’ailleurs, nombre d’aventures de la musique improvisée s’emploient à remonter et à détourner la pente du collectif (où, par exemple, la matière première serait le réseau d’influence avant d’être quoi que ce soit de sonore).
2 – Représentation de la forme par elle-même : il s’agit de ne pas confondre forme et volonté de forme ; de ne pas confondre la forme et la perception, dans la musique, du signe (sonore, donc) d’une décision, d’une volonté, d’une autorité, c’est-à-dire d’un auteur (est-ce de lui-même dont manquerait le compositeur ?).
a – La forme n’est pas forcément signalée ou indiquée (flèche au bord de la route indiquant la colline). Ne pas confondre la forme et son index (la carte et le territoire, et plus encore : la carte replacée dans le territoire). La forme n’est pas forcément repérée (au sens géométrique du repère) : cela n’empêche pas de l’entendre. Elle peut ne pas être représentée mais être bien présente (présente « une seule fois »). « Notre ignorance est toute baignée de prévision » (Alfred North Whitehead).
b – Surjouer, représenter ou indiquer la forme en-musique comme on dit qu’une table est en bois, qu’elle est du bois) pour montrer qu’elle est bien là, expose plutôt la conscience d’une présence supposée de la forme, mais ne prouve d’aucune façon l’effectivité de cette présence, et c’est, au final, à l’exposition de cette conscience d’une forme que l’on assiste, autrement dit, à l’ensevelissement de la forme supposée dans la surexposition de la volonté qu’il y en ait une, surexposition qui finit par remplacer purement et simplement la forme, donnant ainsi lieu à de la forme comme au second degré. Et ainsi de suite bouclé sur soi-même autant de fois que l’on veut : exposer la surexposition de la volonté qu’il y ait une forme, etc.
c – Au cours d’une improvisation collective, n’importe quel son produit a au moins une double fonction (se rapporte à une intention complexe) : celle de participer au résultat sonore (= en tant que pur phénomène acoustique) et celle de transmettre des informations (est-ce là la ruine de toute possibilité d’épochê ?).
d – Mais de quelle information parle-t-on ? D’abord celle-ci : « je suis là, je joue (le jeu), je suis avec toi, avec vous » — information sans laquelle aucune scène n’est possible… et obligation d’agir renvoyant souvent le non-agir, tenté par certains, et la sur-volonté d’agir d’autres, au théâtre de leur propre présence : une représentation (et en dernière instance celle d’un agir aussi minimal qu’il soit).
e – Mais encore et surtout (où l’on retrouve l’influence), cette information est faite de la masse feuilletée de tout ce qui dans ce son va influencer le cours du son (geste, attention, musique — « j’ai compris », « je n’ai pas compris », « vous en faîtes pas, je tiens », « je vais pas tarder à arrêter », « je mens ? », « je mens peut-être », « soutenons-le ! », « laissons-le seul ! », etc.) c’est-à-dire influencer les autres musiciens (l’intention et l’attention en général). L’information, c’est l’influence en train de se propager, et l’on ne peut pas être plus loin de la composition (ou de la prétendue composition instantanée) qu’en ce point de suspens-là : marquer dans le présent du son la fin, le début, la continuation d’un événement sonore, parsemer la musique de buttes-témoins dont le fonctionnement est bien réel… C’est que la marque n’en est pas une : opératoire, elle fait advenir ce qui, sans elle, n’arriverait pas (loin du panneau, et même : le plus loin de lui possible).
f – Ou ce que l’improvisation tenterait de construire est une épochê non plus appliquée à la perception du sonore, mais à la conception des formes elles-mêmes… aux frontières de ce qui apparaît dans le mental pour le mental… quelque chose d’une survie de la pensée en-musique.
La conception (et la prise) de ce réseau d’influences comme matière première d’une musique à faire (à improviser) est inséparable de l’expérience de groupes menée d’année en année avec les mêmes (de l’acoustique à l’éthos en passant par la situation). En cela, du sport à l’amour en passant par les collectifs de recherche ou les diverses équipées aventureuses (équipes, équipées, équipages), la musique improvisée entretient de nombreux rapports avec ce qui se vit de (plus) fort à deux et/ou à plusieurs dans le monde. L’analogie, si elle a des limites, peut aller très loin et même révéler en quoi la musique improvisée peut avoir valeur d’anthropologie en-musique
de certains rapports humains — anthropologie schématique s’il en est. À chaque concert, c’est comme autant de réinventions de l’entraide (la boxe aussi en est une). Les improvisations sont autant de schémas possibles d’une généalogie des conflits et des alliances entre les hommes, elles sont comme la remise en jeu perpétuelle de ce qu’a pu être la construction progressive de l’altruisme, du jeu, ou des raisons de l’encadrement des luttes, mais aussi comme le tracé à vif (et toujours en-musique) de ce que peut être l’histoire d’un couple, l’histoire d’un amour (les duos), d’une rupture… d’une haine. Des lois de la jungle à l’équipée (la lutte) pour le pouvoir, du soufflet perpétuel en crescendo decrescendo à l’invention d’une liberté à réinvestir (ensemble) concert après concert, l’improvisation musicale se construit une place dans l’histoire de la musique, en débordant, et plus que cela, beaucoup plus, la (sur)charge imaginaire du phénomène sonore par l’incarnation en-musique de ce que l’humain charrie de rapports de tension et de détente ! (au point qu’à son tour, on imagine qu’elle puisse servir de modèle).
Hypothèse : le travail de l’improvisateur consiste à trouver un équilibre, le plus fin possible, au sein de chaque son, de chaque silence, dans le passage du temps, entre ce qui est fait pour sonner et ce qui est fait pour influencer (valeur du geste). « Une distinction entre le milieu comme matière et le milieu comme processus paraît s’imposer. Dans les deux cas, il semble qu’un trait commun puisse être envisagé : la relative transparence causale. Les milieux sont des véhicules pour la causalité mais (ou peut-être parce que) les interactions causales qu’ils sous-tendent ne les affectent que marginalement (et elles ne les affectent que dans la mesure où ils doivent subir une modification afin de transmettre la causalité). »
Le milieu de l’improvisation ? L’influence est ici, prise à la lettre, un procès d’intention(s). « Il est possible qu’écouter de la musique consiste moins à détourner l’esprit de la souffrance sonore qu’à s’efforcer de refonder l’alerte animale. La caractéristique de l’harmonie est de ressusciter la curiosité sonore défunte dès que le langage articulé et sémantique s’étend en nous » (Pascal Quignard). Faire de la musique en ne pensant qu’à la qualité de son intention, puis voir en bout de course quel son pourra bien sortir d’un tel montage, d’une telle posture. Mais aussi : sortir la musique du cirque perpétuel des numéros d’instrumentistes — pas de scène sans théâtre ? — « Stratagème n° 7 parmi les 36 : (…) Un coup faux, un coup faux, un coup vrai ». (cf. les 36 stratagèmes, classique de stratégie chinois — probablement sous la dynastie Ming) Jouer où l’on trouve de la place pour le faire, et simultanément se faire une place en jouant (pour ne pas dire se donner du temps, s’en faire) : la ligne du son, sa durée, son histoire comme une ligne de crêtes passant entre des bassins attractifs qu’en même temps elle désigne à l’écoute — cette ligne comme l’index de ce qu’elle évite et, au sommet de l’artifice ou de la stratégie, faire que la frontière alors construite paraisse aller de soi — être d’une seconde nature. Le corps d’épreuve de Faraday (la théorie des champs) : le point d’écoute comme corps d’épreuve d’un champ acoustique, d’un champ d’influence donné…
DÉTOUR : Comme garant de l’épochê, les musiciens parlent de non-intention… Mais il en est du rapport entre la non-intention et l’improvisation comme du rapport entre la transparence et le secret, ou tout bonnement : entre la transparence et l’information, le tout étant d’émettre (intentionnellement, donc) des signes de non-intention, ce qui met le musicien dans une double contrainte sans solution, sinon celle (habituelle en pareil cas) d’en sortir par ailleurs, autrement dit, en faisant ce qu’il faut pour que le problème ne se pose pas (et ce détour comme créateur de formes…). Mais il y a souvent confusion entre non-intention et absence du corps.
« La musique souffre de deux maux, l’un mortel, l’autre épuisant. Le mortel est toujours inséparable de l’instant qui suit celui où elle s’exprime, l’épuisant est dans sa répétition et la fait méprisable et vile. » Cette remarque de Léonard de Vinci ne dit pas que la musique est (forcément) mauvaise, elle dit surtout qu’on ne sait pas parler du temps, que les mots sont de bien piètres outils pour le faire parce qu’avant de nous en apprendre sur le temps, ils nous parlent de leurs propres rapports avec lui et que cette parole, ce procès, est sans fin — que dès lors, la relation est close ! S’il est bon que l’outil de mesure nous rappelle qu’il mesure avant tout son propre rapport au mesuré, il doit son existence à tout ce qui ne se ramène pas à cette clôture — c’est-à-dire au bouclage de la fonction sur elle-même. La scène aussi est un outil, un outil de mesure même, cela donne : les Romains invitaient des troupes d’acteurs grecs à Rome pour jouer des pièces traditionnelles et finissaient par leur demander de se taper dessus parce que c’était bien plus drôle… — bouclage du spectacle sur lui-même (cf. Quignard) !
Hypothèse : ce n’est pas pour éviter ce qui a déjà été fait (quoi qu’il en dise ?) que l’improvisateur instrumentiste se place souvent dans les zones extrêmes de son instrument (au bord de son instrument), dans une relation extrême avec lui, mais pour que chaque son soit extraordinaire, comme pas reproductible (même par lui ?) et revienne à une sorte d’indexation (acérée) de l’instant. Ce n’est pas la nécessité d’inventer de nouveaux sons qui pousse l’improvisateur à sortir l’instrument de ses gonds, mais la nécessité d’être dans une situation de mise en évidence de son intention ou de sa non-intention, de la qualité de son intention… instaurer une situation imprévisible… ou plutôt se mettre avec son instrument et avec soi dans un régime d’instabilité qui permetrait à l’intention de traverser l’écran du son.
Mais l’instrument implique beaucoup (trop ?) : l’auditeur sait ce dont le musicien joue (et de quel instrument) ; le musicien sait aussi forcément que l’auditeur sait, etc. Tout un jeu s’en suit autour de ce que chacun imagine savoir (du savoir de l’autre), et construit en conséquence un domaine de possibles (grosse barrière à l’épochê que de jouer à qui sait quoi) : une boule de possibles, un horizon d’attente (Husserl).
« Comment sais-je que ce que j’ai trouvé est ce que j’avais cherché ? (que ce qui est arrivé est ce que j’attendais, etc.).
Je ne peux pas embrasser à la fois ce qui arrive et l’attente qui l’a précédé.
L’événement qui se substitue à l’attente est la réponse à celle-ci.
Mais pour cela il est nécessaire qu’un événement ait à se substituer à elle — et ceci veut dire que l’attente doit être dans le même espace que ce qui est attendu .
[…]
Pourrions-nous jamais nous imaginer un langage dans lequel l’attente que p se produise ne soit pas décrite en recourant à “p” ?
Cela n’est-il pas tout aussi impossible qu’un langage qui exprimerait p sans recourir à “p” ? » (Wittgenstein)
Cette attente, cet horizon, ces possibles, cette boule, révèlent l’importance de la machine analogique/numérique comme instrument, et singulièrement de l’ordinateur, dans la perception même de la musique : qu’en est-il de cet horizon quand le musicien joue de l’ordinateur ? C’est-à-dire quand, au-delà du secret de son propre geste (qu’en voit-on ? : « rien »), l’instrument est acoustiquement capable de tout. Autrement dit, l’horizon d’attente est-il seulement possible hors de la convention purement empirique qui, aussi contemporaine soit-elle, fait que l’utilisateur d’ordinateur produit plutôt tel ou tel type de musique, tel ou tel type de son, et que devient l’écoute d’une improvisation quand cet horizon est impossible.
Le degré de savoir, la qualité du savoir, s’impriment dans la forme de la musique faite et perçue — la connaissance des durées induit la forme de l’attention… ainsi l’instrument implique beaucoup de boucles dans l’attention, beaucoup de feed-back dans l’écoute… C’est aussi que, mangée par le spectacle, la musique manque d’une culture d’atelier : entre l’écriture et l’improvisation, il n’y a rien sinon le studio. Peut-être est-ce aussi, là, une des raisons de la sortie progressive des acousmates sur scène, ou en tout cas de certaines de leurs méthodes, de leur désir de plus en plus fréquent d’improviser, de s’y frotter, d’aller sur le motif (le temps, l’attention des auditeurs, le bruit des lieux). C’est aussi que l’improvisation est un folklore vivant… De là à dire : « oui, il faut être né dedans pour comprendre »… Il y a pourtant un désir de non-idiome, un désir d’ordre universaliste (un folklore universaliste) — un désir occidental… Rappel : l’épochê ne devait-elle pas être une écoute « qui serait si possible accessible à tout homme écoutant » ? Mais que serait donc un folklore d’avant-garde ? Un folklore vivant tout simplement… et peut-être qu’un folklore vivant est précisément celui qui génère son propre peuple… Où est-il ?… Avec ceux qui le font exister, tout simplement — au bord d’un effondrement sectaire… Mais il y a sûrement une différence entre présence d’idiome et absence d’idiome : d’un côté, on croit au fort ralliement communautaire par la musique et/ou à l’universalité à raison même de ce ralliement ; de l’autre, on croit qu’une ouverture à l’universel est possible, au départ, dans la musique elle-même (par la musique). De part et d’autre, il s’agit d’une tension vers quelque chose, d’une utopie (1 – à droite ? communautaire, 2 – au centre ? universelle par l’occurrence communautaire, 3 – à gauche ? purement universelle) et cette tension peut être moteur musical. Il y a aussi une différence entre l’absence d’idiome et le non-idiome. Dans le non-idiome, il y a quelque chose du méta-idiome, de l’« idiome de l’idiome », etc., et qui en serait un malgré tout — dans lequel, par exemple, on ne pourrait pas être né… une façon de prendre toute la musique comme un matériau (ne serait-ce pas là l’épochê, non plus appliquée au niveau du son, ni de la forme, mais à celui de l’idiome précisément) autrement dit : une véritable utopie (sur les pratiques du NON, les non-disciplines — non-philosophie, non-art, les livres de non-philosophie de François Laruelle montrent la complexité du NON comme préfixe).
Retrouverait-on Husserl ? « Mais avec le bris de la naïveté par le changement d’attitude transcendantal-phénoménologique se produit un important changement, important pour la psychologie même. En tant que phénoménologue, je puis certes à tout moment revenir à l’attitude naturelle, au simple accomplissement de mes intérêts vitaux théorétiques ou autres ; je peux tout comme avant être en action en tant que père de famille, citoyen, fonctionnaire, “bon Européen”, etc., justement, donc, en tant qu’homme dans mon humanité, dans mon monde. Comme avant — et cependant pas tout à fait comme avant. Car l’ancienne naïveté, je ne peux plus l’atteindre, je ne peux plus que la comprendre. Mes vues et mes visées transcendantales sont simplement alors devenues inactuelles, mais elles continuent à être mes vues et mes visées propres. » … Souvenir de cette dame qui, ayant assisté pour la première fois à un concert acousmatique, me dit : « Il y a quelque chose d’émouvant à ne rien voir, à n’avoir qu’à entendre, qu’à écouter, à sentir venir les sons vers soi sans avoir à se soucier de ce qui, ou de qui, les a produits ».
Parvenir à dire de la musique, ce que Gilles Grelet dit de la pensée :
« (…) commencer par écarter tous les contenus (quantitatifs ou qualitatifs), car non seulement ils ne touchent point à la question de la pensée (la réciproque n’est pas vraie : la pensée, elle, touche aux contenus — aux vérités de fait ou d’existence), mais encore, surtout s’ils sont désubjectivants, comme c’est massivement le cas aujourd’hui, ils interdisent de la poser comme pure question de forme.
Que la pensée soit affaire de forme et non (d’abord) de contenu, c’est dire qu’il y a du réel qui ne se résoud pas à la réalité mais qui y insiste pour autant que la pensée, comme exigence en dernier ressort morale (c’est-à-dire au-delà de l’utilité et hors toute éthique) y travaille. »
Malgré la scène mais grâce à la scène, l’improvisation aide d’abord à comprendre cette nécessité-là, mais plus avant, elle pourrait aussi amener l’ensemble de la musique à s’y confronter.
II — Improviser/Composer (avec haut-parleurs)
à André Almuró
La matérialité du corps sonore, celle du support de l’enregistrement, celle du câblage et celle, pour finir, de la membrane du haut-parleur peuvent finir par se confondre en une sorte de cluster de perceptions (où matérialité = empreinte sonore).
— L’empreinte du corps sonore : instruments, objets, divers dispositifs électriques et l’électricité elle-même comme quasi-corps sonore.
— L’empreinte du support de l’enregistrement (lui-même empreinte) : sa texture technique (bandes diverses, CD, ordinateur, etc.)
— L’empreinte du câblage, son degré de transparence (c’est-à-dire de non-transparence).
— L’empreinte de la membrane du haut-parleur : sa matière, sa taille, sa position, son orientation (bref, sa situation et toutes ses qualités).
Auprès des improvisateurs, le succès des membranes comme corps sonores (une corde autrement ?), des plaques, des frottements, et des dispositifs électriques divers et variés… vient sans doute aussi de là (outre que les sons produits puissent plaire à celui qui les produit — question de goût…). Ce succès vient aussi du fait simple que le son effectivement entendu sera produit par une membrane et de l’électricité, une surface vibrante, une variation de tension, bouclant la boucle des causes et jetant sur l’écoute un trouble quant à la localité exacte de la vibration-source : rendre plausible le dispositif technique — que sa présence dans l’instant soit « entendue ». C’est finalement le problème que pose l’improvisation avec haut-parleurs — un peu comme si l’on avait l’habitude de regarder le spectacle (dit) vivant sur un écran de cinéma. Vers une unification perceptive (symbolique et phénoménologique) du système de production sonore ?
C’est qu’il n’y a pas un son à diffuser, il y a globalement un système de production du son. Créer un vrai système de diffusion, c’est-à-dire un système de non-diffusion (ou de diffusion d’un son non-préexistant). Jamais la technique n’est transparente pour l’intelligence de l’écoute, et toujours, par principe, moins qu’on le pense !
Aussi… jouer d’un instrument consiste souvent à jeter des troubles — à tenter d’en jeter. Des troubles ?… par exemple quant à la provenance du son. Comment un son, qui parvient tout juste (ni trop, ni pas assez) à remplir la pièce, trouble son origine spatiale… Comment les sons se cachent les uns derrière les autres pour, au final, approcher artificiellement (mais ne l’est-elle pas tout le temps ?) une situation acousmatique, etc., mais aussi quant à sa « nature » (= sa cause ?)…
Si, pris dans le dispositif du compositeur, le haut-parleur, et avec lui le truchement technique, amène au trouble perceptif quant à la cause (et à sa prise en compte revendiquée ) — autrement dit amène à un effacement potentiel du rôle de l’œil dans l’attention musicale (acousmatique) — ou de la spéculation au sens propre —, en revanche il ramène dans la musique ce à quoi la musique n’a jamais été confrontée vraiment : la représentation et le réalisme (représentation de ce qui n’est pas là — image — aussi bien que représentation du son lui-même — disons : une avancée ?).
Le déballage infini de la trivialité du monde, de ses objets, la procession hétéroclite des ustensiles, du paysage, des personnages, des « scènes », du report, de l’empreinte, des voitures, des tasses à café, des balles de ping-pong, du vent, de la pluie, des criquets, etc., fait son irruption et n’en finit pas d’envahir la musique sans jamais que l’équivalent de ce que la peinture a engagé comme critique de cette représentation ne pointe l’ombre de son nez… (disons : une reculade ?). La séparation tenace musique de film vs bande-son signifie beaucoup du retard de ladite « musique » sur elle-même — ses possibilités actuelles — voir/entendre/écouter tout de même quelques exemples qui donne une idée de ce qui pourrait être : Prénom Carmen (Godard), Mère et Fils (Sokourov), Stalker (Tarkovsky), ou plus récemment Bataille dans le ciel (Reygadas), I Don’t Want to Sleep Alone (Tsaï Ming-liang)…
Remarque sur la représentation d’un son — son absence… l’exemple de la réverbération : un « poil de réverb’ » suffit à renvoyer ce qui a lieu dans le haut-parleur, la vibration de la membrane, dans un ailleurs imaginaire souvent inutile. Cet effet — ce poil — suffit à éloigner le phénomène sonore, à le rendre absent, en le renvoyant dans une virtualité spatiale, alors qu’il est toujours bien entendu ici et maintenant. On saute d’un coup de ce qui a lieu ici (un phénomène présent) à une représentation, à ce qu’est une image, même si l’on ne sait pas exactement image de quoi… et a fortiori si l’on sait de quoi… La réverbération n’est pas un problème : le problème, c’est qu’en trop (par habitude ? par facilité ?), elle peut mener l’oreille à un questionnement quant au degré de réalité de tout ça — questionnement souvent inutile — impasse inutile (sans parler du conflit insoluble entre cette réverbération-là, cet espace imaginaire et l’espace bien réel de la diffusion, sa réverbération propre).
Il y a, présente dans l’écoute, une attention particulière portée au réalisme du phénomène lui-même — une question de survie : quoi de plus important pour un corps que de savoir si ce qui lui arrive du dehors est vrai ou faux (et bien sûr quoi de plus excitant que de le mener en bateau). Les implications esthétiques de cette attention sont (apparemment) paradoxales : plus le son est plausible (comme représentation), moins la technique l’est, moins l’ensemble de ce qui est senti est présent (entraînant le dispositif tout entier dans un retrait de la réalité, un retrait d’un phénomène à son image).
Celibidache : « (…) Le disque tue la conscience musicale. La conscience du tempo, c’est la capacité de réagir spontanément à une richesse à chaque fois différente. Le tempo qui était justifié par l’acoustique originale devient, quand vous écoutez le disque dans votre propre environnement, une donnée physique, perd toute justification musicale. Le disque reste lettre morte. Il ne peut jamais être musique. Le disque désapprend la capacité à s’intéresser à ce qui, chaque fois, change. Il tue la spontanéité, il tue l’oreille et, à terme, la conscience musicale. Le disque n’a rien à voir avec l’art ou avec la musique. La culture du disque est une culture de la non-musique. (…) Le son ne peut se vivre et s’expérimenter qu’à l’intérieur de son espace d’origine. »
À l’évidence, pour être sûr d’être bien entendu au présent, autrement dit, pour que le son se tienne in situ (comme on dit d’une sculpture qu’elle « (se) tient »), il faut prendre garde à ne pas s’approcher de ce qui aurait pu être enregistré, c’est-à-dire venir d’ailleurs. Mais plus encore, c’est à la présence du haut-parleur lui-même qu’il faudrait songer. C’est qu’il y a, parmi les habitudes d’écoute, l’idée tenace de ce que doit être un son (y compris, et surtout, de synthèse) envers et contre l’évidence de ce qui se passe quand l’électricité et le son vont ensemble sans avoir à représenter. Qu’est-ce qu’un son ? pas même un son musical ou un beau son, non : un son tout court. Voilà ce qui devrait être sous-jacent. Quand l’usage (la règle) fait qu’un son synthétique doit imiter la structure d’un son qui ne l’est pas, même et surtout s’il n’est pas l’image de quelque chose, le diktat est de l’ordre du modelé obligatoire… Comme si se re-jouait, déplacé sur la (non-)nature du phénomène acoustique, ce qui s’est joué, il y a longtemps maintenant, quant à l’opposition son/bruit.
DÉTOUR — formalisme et formalisme. Il y a plein de formalismes (au moins trois différents dans ce qu’ils supposent esthétiquement). « C’est du formalisme » peut vouloir dire (allons du plus simple au plus complexe) :
1 – (péjoratif ?) : « ce n’est qu’une forme et puis c’est tout… c’est creux, ça n’exprime rien, il n’y a que le résultat qui compte … » ;
2 – l’art (science ?) de la forme, c’est-à-dire l’application aveugle de principes formels qui mènent à du nouveau en déplaçant le face-à-face avec la décision, au lieu de choisir ses objets, d’inventer des principes (de les choisir…), principes qui, eux, choisiront pour nous ceci ou cela ;
3 – et finalement, le formalisme historique défini par Greenberg (rien dans l’œuvre qui ne soit propre au médium, en quelque sorte le rasoir d’Ockham des artistes — une sorte de réduction). Clement Greenberg : « L’essence du modernisme repose, selon moi, dans l’utilisation d’une méthode caractéristique à une discipline pour se critiquer elle-même, non pas pour la subvertir, mais pour l’ancrer plus profondément dans son domaine de compétence. (…) C’est l’insistance sur l’inévitable planéité de la surface qui est demeurée, quoi qu’il en soit, plus fondamentale que quoi que ce soit d’autre dans le processus par lequel l’art pictural s’est critiqué et défini comme Modernisme. Du fait que la planéité en soi était unique et exclusive de l’art pictural. Le cadre de l’image était une limite conditionnante, une norme, partagée avec l’art du théâtre. La couleur était une norme et un moyen partagé non seulement avec le théâtre, mais avec la sculpture. Parce que la planéité était la seule condition que la peinture ne partageait avec aucun autre art, la peinture moderne s’est orientée vers la planéité plus que vers toute autre chose. » Si cette réduction liée au médium a longtemps été synonyme de modernité, et même d’avant-garde (menant aussi malgré tout à la remise en question du cadre), il y a longtemps que les pratiques ne se définissent plus par le médium (ou devraient ne plus). Pourtant, cette réduction par la logique du médium reste dans l’apprentissage, aussi bien que dans la réception de l’art en général, un passage obligé, un accès, l’œilleton à partir duquel tout devient visible, écoutable et possible — l’épreuve à passer pour que la forme se tienne debout et que la représentation (ce qu’il en reste) ne soit pas/plus cliché ou lettre morte.
Le haut-parleur est-il toujours le moniteur de quelque chose ? Précisément… quand il ne l’est plus du tout, c’est peut-être que quelque chose a lieu dans l’instant. Mais c’est aussi quand il l’est absolument, quand le haut-parleur témoigne de quelque chose de mystérieux, d’obscur à l’œil et à l’oreille, que l’écoute peut être dans l’instant (installation, interaction, etc.). Le larsen (et tous les bouclages de machines sur elles-mêmes) comme moyen d’inscrire le haut-parleur et la technique dans l’instant (donc dans le lieu) comme auscultation de la machine par elle-même.
L’indexation de l’instant s’opère par la mise en place de systèmes instables, de positions limites, de postures extrêmes… La musique devient signature sonore d’un dispositif physique/mécanique/informatique. Elle prend une forme, quelle qu’elle soit, d’interaction. En unifiant les temporalités, en construisant, proprement, une durée, un servo-mécanisme, outre la perception de son fonctionnement, elle est aussi intuitivement comprise comme la preuve que quelque chose a bien lieu à l’instant (le larsen comme degré 0 du servo-mécanisme). Le haut-parleur est aussi une machine et le microphone est un haut-parleur à l’envers.
RETOUR — Aguets/apnée (instant/durée) : Et la musique « mixte » dans tout ça ? quelque chose ne marche pas quand justement, parallèlement à des instruments live, les haut-parleurs ne sont là que pour diffuser un son dont le support, quel qu’il soit, est intangible, et pour la temporalité duquel l’instant reste obscur… C’est que l’attention rebute (et plus que ça) à superposer deux temporalités profondément différentes quand elles lui sont présentées comme identiques, pour ne pas dire confondues (risque que prend l’improvisateur quand il se met à diffuser des images parmi des instruments… cinéma ou vidéo au théâtre et inversement). Il semble que l’oreille soit très sensible à ce genre de problème — une entourloupette rédhibitoire… —, d’où tous les efforts pour progressivement transformer la « mixité » en « interactivité »… Cela reste à voir ! N’est-ce pas une façon de contourner le problème, une façon de ne pas se le poser alors que l’on sait qu’il va falloir se le poser ? Ou alors, parlons d’un véritable dialogue avec la machine, allant jusqu’à la prothèse sauvage.
Concrètement : ou bien on joue précisément sur la différence de temporalité, ou bien on rate son coup (et le thème du matériau n’y change rien : « tout est du matériau… un enregistrement est un matériau comme les autres » — « eh bien non, justement, ce n’est pas un matériau comme les autres, et puis rien n’est un matériau comme les autres, toujours se méfier comme de la peste de cette histoire de matériau — mise à plat bien rapidement faite »), on rate son coup donc, ou plutôt on force l’écoute, on lui impose l’effort le plus idiot qui soit (pour elle) : une confusion impossible entre une attention à l’instant et la plongée dans la texture d’une durée inscrite au préalable que rien ne pourra modifier (celle du cinéma, par exemple) ; entre être aux aguets (tout peut (m’)arriver) et être en apnée (rien ne peut (m’)arriver). Bref, la question de survie se pose dans une confusion repoussante pour l’oreille.
Le corps de l’audience doit-il se mettre aux aguets d’un « tout peut arriver », ou bien doit-il au contraire se plonger dans une durée prédéterminée, une vraie parenthèse technico-biologique durant laquelle le risque 0 du point de vue (point d’ouïe) de la survie de l’animal dans son milieu rend possible un relâchement, une (grande) ouverture spécifique ? N’y aurait-il pas d’apnée possible sans artifice (ne serait-ce que la décision — liée au risque maximum que l’apnée suppose de prendre — assurance du milieu) ? Alors que, manifestement, être aux aguets s’impose dès que nécessaire… toujours une question de survie. Quelque chose empêche donc d’être vraiment en apnée et vraiment aux aguets en même temps, sauf que, menée à certaines extrémités, l’apnée devient aguets et inversement. Aux extrémités seulement. Mais chaque situation laisse possibles, de manière plus ou moins adéquate, l’aguet (du paranoïaque) ou l’apnée (du schizophrène). Et cela ne concerne pas seulement l’auditeur ou l’audience : faire un solo pose inévitablement le problème, et… pris à la lettre (apnée : a-pnée : a-pneuma : sans souffle = sans respirer : d’une traite, etc.), être en solo avec un instrument à vent pose indéfiniment le problème (où l’on voit que la métaphore n’en est pas toujours une) : comment être en apnée tout en respirant de tout temps… comment construire une durée qui ne soit pas celle, triviale (et rébarbative), de la respiration elle-même, et plus loin, être aux aguets de la présence de trous pour inspirer dans l’épaisseur du son produit (survie — paranoïa) — pour l’audience et l’instrumentiste, une forme d’aguets imposée par la musique elle-même — son mode de production — alors que tout porterait vers l’apnée : d’où la respiration circulaire de nombre de solistes.
Parvenir à dire du musicien ce que François Laruelle dit de l’intellectuel :
« C’est du fond de l’immanence qu’émerge le futur et non pas des hauteurs de la transcendance. Évidemment, tout nous presse d’agir, de court-circuiter la réflexion pour agir ou pour faire de la réflexion une action. On pourrait croire que l’intellectuel que je décris prend son temps. Mais ce n’est pas tout à fait cela, parce qu’il ne se situe pas dans une temporalité unitaire. Il prend le temps à rebours et le donne. »
Hypothèse : si l’on appelle autorité le corps (la pensée)-source de la musique (le compositeur, l’improvisateur, etc.), il semble que plus l’autorité est locale, plus l’écoute sera portée à se mettre aux aguets ; inversement, plus l’autorité est non-locale, plus l’écoute aura tendance à plonger en apnée dans la durée — la perception de celle-ci. On voit ici la situation à la fois ambiguë et clef du haut-parleur…
Jean-Luc Guionnet
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